Situation 1 :

Je vous donne 2 000€. Ils sont à vous quoiqu’il advienne. Je vous propose de vous donner immédiatement 500 € de plus ou alors 1 000 € si vous gagnez à un lancer de pile ou face. Que choisissez-vous ? Notez ceci sur votre téléphone, sur un papier ou dans votre tête, mais notez avant d’aller plus loin, ne trichez pas !

Situation 2 :

Je vous donne 3 000€. Cependant, je vous apprends qu’il va falloir passer à la caisse. Vous devez me payer 500 € ou alors, nous jouons à pile ou face. Si vous gagnez, vous ne me payez rien. Si vous perdez vous devez me payer 1 000 €. Que choisissez-vous ? Notez ceci sur votre téléphone, sur un papier ou dans votre tête, mais noter avant d’aller plus loin, ne trichez pas !

Résultats :

Avant toute chose, sachez qu'il est difficile de reproduire une expérience psychologique par l'imaginaire. Les interprétations ci-dessous sont issues des études.

Si vous avez choisi de prendre les 500€ dans la situation 1 et que dans la situation 2 vous avez choisi le pile ou face, bravo ! Vous avez fait comme la majorité des gens et vous venez de vous démontrer votre … aversion à la perte. En effet, dans la situation 1 par peur de ne pas gagner (de perdre) 500€ gracieusement assurés, vous n’avez pas opté pour le pile ou face et vous avez pris les 500€. Même si vous n’avez pas ressenti cette aversion (ce qui est normal pour la situation 1), vous avez opté de prime abord pour l’utilité maximale c’est-à-dire maximiser l’espérance de gain à l’instant T en fonction du contexte qui est qu’il n’y a qu’un lancer de pièce. En effet, mathématiquement, l’espérance de gain est identique et égale à 500€ quelle que soit la solution choisie mais l’utilité maximale se rencontre dans le choix de prendre les 500€, le nombre de lancer de pièce ne tendant pas vers l’infini. En optant pour l’utilité maximale, si nous ne sommes pas biaisés cognitivement, on s’attend logiquement à opter également pour l’utilité maximale dans la situation 2, c’est-à-dire … payer les 500€. Or, ce n’est pas le cas ici. Vous avez opté pour le pile ou face et non pour le paiement direct malgré des espérances de gain identiques et égales à -500€. En choisissant le pile ou face dans la situation 2 votre aversion à la perte a pris le contrôle, sans que vous vous en rendiez compte, sur votre choix qui n’est alors plus rationnel par rapport à celui de la situation 1. Vous avez risqué de perdre 1 000€ pour ne pas payer, autrement dit, perdre 500 €. Et là, vous allez me dire « mais non tu dis n’importe quoi, si j’ai choisi pile ou face c’est parce que j’ai vu la situation de prime abord comme une chance de ne rien payer. Ce n’est pas la peur de perdre 500€ qui m’a fait prendre la décision ». Oui. Donc, vous avez pris le risque de payer 1 000€, en espérant fortement payer zéro, pour ne pas payer, autrement perdre, 500€ immédiatement (je vous laisse relire !). Donc, vous avez été averse à la perte, vous vous êtes senti inconfortable à l’idée de payer 500€ directement. Pourquoi ? Selon les études (1-2), vous vous êtes fait dépasser par vos émotions. Celles-ci ont montré que la douleur et l’insatisfaction ressenties face à la perte sont 2 fois plus importantes que le plaisir et la satisfaction ressentis face au gain (cf. schéma 1). Dans la situation 2, vous avez choisi pile ou face car vous aviez la possibilité, dans ce cas, d’éviter la douleur, l’inconfort, l’insatisfaction qu'on vous taxe 500€. Certes, vous avez pris le risque de perdre plus (1 000€), mais de prime abord pour éviter de payer 500€. Et c’est cela, l’aversion à la perte.

Schéma 1 : La fonction de valeur (https://www.onyx-cie.ch/finance-comportementale/)

Alors, êtes-vous biaisé ?

Si vous avez fait d'autres choix voici les interprétations que l'on peut en faire :

Si vous avez choisi de prendre les 500€ dans la situation 1 et de payer 500€ dans la situation 2 vous êtes cohérent avec vous-même, vous n’avez pas le biais cognitif d’aversion à la perte. Vous avez été à chaque fois dans une démarche d’utilité maximale (vous avez fait des choix rationnels à un instant T avec les données disponibles, vous avez été mathématique).

Si vous avez choisi de jouer à pile ou face dans les deux situations, vous êtes cohérent avec vous-même et vous n’êtes pas du tout averse à la perte. Vous êtes un horrible parieur pathologique et une consultation en addictologie est… (non je blague). Vous êtes juste plus tolérant au risque et ce niveau de tolérance peut varier en fonction des sommes en jeu. Aurait-ce été la même chose pour dix, vingt, cent mille euros ?

Si vous avez choisi de jouer à pile ou face dans la situation 1 et choisi de payer 500€ dans la situation 2, vous n’aimez pas prendre de risque lorsqu’une perte est possible, vous prenez le risque uniquement lors d’un possible gain. Ce fonctionnement peut être problématique lors de vos investissements et peut vous faire ressentir des émotions négatives et de l’anxiété lors des baisses. Il faut ainsi travailler sur ses croyances vis-à-vis du risque et de l’argent. Dans ce cas, il serait préférable de s'exposer aux investissements très progressivement (cela parlera aux psychiatres TCC). Sans rentrer dans le pathos, et si vous êtes intéressé pour mieux comprendre votre fonctionnement, vous pouvez me contacter pour que je vous transfère des outils. Vous avez aussi pu faire ce choix-là en prenant les situations sous le prisme de vos propres considérations / pensées et ce n'est pas foncièrement un problème en soit (ex : je n'ai pas besoin de cet argent et je ne veux pas me prendre la tête pour le paiement de la taxe donc je paye).

Dernière chose importante, ce biais peut se développer même chez les personnes ne l'ayant pas initialement en fonction du contexte, des sommes, des probabilités. Une personne qui n'a pas présenté ce biais lors de cette petite expérience pourrait l'avoir présenté dans un autre contexte. Ceci a aussi été étudié par Kahneman (3).

Références :

  1. Martinez Frédéric, « L'individu face au risque : l'apport de Kahneman et Tversky », Idées économiques et sociales, 2010/3 (N° 161), p. 15-23. DOI : 10.3917/idee.161.0015. URL : https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2010-3-page-15.htm
  2. Kahneman D., Tversky A., « Prospect Theory : An Analysis of Decisions Under Risk », Econometrica, vol. 47, n° 2, p. 313 à 327, 1979.
  3. Tversky A., Kahneman D., « Advances in Prospect Theory : Cumulative Representation of Uncertainty », Journal of Risk and Uncertainty, vol. 5, n° 4, p. 297 à 323, 1992.